9. Nous avons étudié l'expérience de l’URSS parce qu'elle constitue l'avant-garde de la construction socialiste. Il sera nécessaire d’étudier aussi le cours du socialisme dans les autres pays européens, ainsi que l’évolution du pouvoir socialiste dans les pays d’Asie (Chine, Vietnam, R.P.D. de Corée) et à Cuba.
La validation du caractère socialiste de l'URSS est basé sur : la suppression des relations de production capitalistes, l’existence d’une propriété socialiste et soumise (en dépit des contradictions), la planification centralisée, le pouvoir des travailleurs et les réalisations sans précédent au bénéfice de tous les travailleurs.
Tout cela n’est pas réfuté par le fait que, après un certain temps, le Parti ait progressivement perdu ses caractéristiques révolutionnaires, ce qui a permis aux forces contre-révolutionnaires de dominer le Parti et le gouvernement dans les années 80.
Nous caractérisons les évolutions de 1989-1991 comme une victoire de la contre-révolution, comme un renversement de l’édification socialiste, un recul social. Ce n'est pas par hasard que ces évènements aient été soutenus par la réaction internationale et que la construction socialiste, en particulier durant la période de la suppression des relations capitalistes et de l’instauration du socialisme, jusqu'à la Seconde Guerre mondiale, ait attiré les foudres idéologiques et politiques de l'impérialisme international.
Nous refusons le terme d’« effondrement » parce qu'il sous-estime l’activité contre-révolutionnaire et la base sociale sur laquelle elle a pu se développer et dominer, à cause des faiblesses et des dérives du facteur subjectif pendant la construction socialiste.
La victoire de la contre-révolution en 1989-1991 ne prouve pas l’absence d’un niveau minimal de développement des conditions matérielles pour commencer l’édification socialiste en Russie.
Marx signale que « l'humanité ne pose jamais que des problèmes qu'elle peut résoudre ; car, à y regarder de plus près, il se trouvera toujours que le problème lui-même ne surgit que là où les conditions matérielles pour le résoudre existent déjà ou du moins sont en voie de devenir ». (Préface de Critique de l’Economie politique) A partir du moment où la classe ouvrière, la principale force productive, lutte pour accomplir sa mission historique et quand la révolution se déclare, c'est que les forces productives se sont développées au niveau du conflit avec les rapports de production, avec le mode capitaliste de production. En d'autres termes, les conditions matérielles du socialisme, sur lesquelles les conditions révolutionnaires se fondent, existent.
A partir des éléments statistiques de l'époque, nous pouvons constater que les relations capitalistes de production, au stade monopoliste de leur développement, dominaient en Russie. C'est sur cette base matérielle que s’est appuyé le pouvoir révolutionnaire pour socialiser les moyens de production concentrés.[10]
La classe ouvrière de Russie, et surtout le secteur industriel, a fondé des Soviets, en tant qu’unités organisationnelles pour l’action révolutionnaire, sous la direction du PC (Bolchevik), dans sa lutte pour la conquête du pouvoir. Le Parti bolchevik, sous la direction de Lénine, était théoriquement préparé à la révolution socialiste : analyse de la société russe, théorie du maillon faible dans la chaîne impérialiste, évaluation de la situation révolutionnaire, théorie de la dictature du prolétariat. Le Parti a montré une remarquable capacité à utiliser une stratégie et une tactique adéquates à chaque stade du développement de la lutte des classes : alliances, slogans, manœuvres, etc.
Cependant, le socialisme a été confronté à des difficultés supplémentaires, dues au fait que la construction socialiste a commencé dans un pays avec un faible niveau de développement des forces productives (Lénine le définit comme moyennement faible) comparé aux pays capitalistes avancés[11] et une grande disparité de développement en raison de la large survivance de relations précapitalistes.
La construction socialiste a commencé après les énormes destructions de la Première Guerre mondiale et en pleine guerre civile. Par la suite, elle a affronté l’immense destruction causée par la Seconde Guerre mondiale alors que certaines puissances capitalistes, comme les Etats-Unis, n’ont pas connu la guerre sur leur territoire, mais au contraire, ont utilisé la guerre comme un moyen de surmonter la crise économique des années 30.
La gigantesque croissance économique et sociale réalisée dans ces conditions, prouve la supériorité des rapports communistes de production.
Les développements ne confirment pas les évaluations de certains courants opportunistes et petit-bourgeois. Les points de vue sociaux-démocrates considérant la révolution socialiste en Russie immature n'ont pas été confirmés. Les positions trotskistes sur l’impossibilité de construire le socialisme en URSS ont été réfutées. C’est un point de vue sans fondement et subjectif que de penser que la société qui est née après la Révolution d’Octobre n'était pas socialiste ou qu'elle a rapidement dégénéré dans ses premières années et par conséquent que l’interruption des 70 années d'existence de l'URSS était inévitable.
Nous sommes contre les théories qui déclarent que ces sociétés n'étaient rien d'autre qu’un « nouveau système d’exploitation » ou une forme de « capitalisme d'Etat », comme le prétendent certains courants opportunistes.
En outre, les évolutions ne valident ni la position globale des tendances « maoïstes » concernant la construction socialiste en URSS, ni la définition de l'URSS comme social-impérialiste, ni le rapprochement avec les Etats-Unis, ni l’inconsistance des questions de la construction socialiste chinoise (ex. la reconnaissance de la bourgeoisie nationale comme alliée de la construction socialiste, etc.).
Notre propre analyse critique intègre la défense de la construction du socialisme en URSS et dans les autres pays.
10. Par notre étude de la contre-révolution en URSS, nous donnons la priorité aux facteurs internes (sans ignorer l’effet des facteurs externes) parce que le renversement contre-révolutionnaire n’est pas le résultat d'une intervention militaire impérialiste, mais plutôt de l’intérieur et du sommet, à travers la politique du PC.
En nous basant sur la théorie du communisme scientifique, nous avons dégagé une étude selon les axes suivants :
- L'économie, c'est à dire, les évolutions dans les rapports de production et de distribution sous le socialisme, comme base et solution aux contradictions et aux disparités sociales.
- Le fonctionnement de la dictature du prolétariat et le rôle du PC dans la construction socialiste.
- La stratégie et les évolutions du mouvement communiste international.
11. L’avancée de la construction d'une nouvelle société en Union soviétique était déterminé par la capacité du PC bolchevik à remplir son rôle de guide révolutionnaire. Tout d'abord, il fallait élaborer et développer la stratégie révolutionnaire requise pour chaque étape, pour affronter l'opportunisme et répondre efficacement à toutes les nouvelles exigences et défis du développement du socialisme-communisme.
Les fondations de la nouvelle société se sont constituées jusqu'à la Seconde Guerre mondiale : la production socialiste basée sur la planification centralisée dominait et les relations capitalistes ont été supprimées. La lutte de classe en vue d’abolir les exploiteurs était menée avec succès et des résultats impressionnants étaient atteint dans le domaine de la croissance de la prospérité sociale.
Après la Seconde Guerre mondiale, la construction socialiste est entrée dans une nouvelle phase. Le Parti était confronté à de nouvelles exigences et défis concernant le développement du socialisme-communisme. Le 20e congrès du PCUS (1956) a marqué ce tournant, car une série de positions opportunistes y ont été adoptées sur les questions économiques, sur la stratégie du mouvement communiste et sur les relations internationales. La lutte qui se déroulait avant le congrès s’est poursuivie et s’est reforcée par un tournant en faveur des thèses révisionnistes-opportunistes[12], de sorte que le Parti a perdu progressivement ses caractéristiques révolutionnaires. Dans les années 80, avec la perestroïka, l'opportunisme s’est conforté pour devenir une force de trahison contre-révolutionnaire. Les forces communistes stables qui ont réagit lors de la dernière étape de la trahison, au 28e congrès du PCUS, ne sont pas parvenues à temps à démasquer cette trahison ni à organiser la riposte révolutionnaire de la classe ouvrière.
Évaluation de l'économie au cours de la construction socialiste en URSS
12. Avec la configuration du 1er Plan de la planification centralisée, les questions suivantes étaient déjà au coeur du débat théorique et de la lutte politique en matière économique. La production socialiste est-elle marchande ? Quel est le rôle de la loi de la valeur, des relations marchandise-monnaie dans la construction socialiste ? Les discussions et polémiques ont été interrompues par la Seconde Guerre mondiale, mais elles ont repris et se sont intensifiées après la fin de la Guerre.
Nous estimons erronée l’approche théorique selon laquelle la loi de la valeur serait une loi de mouvement du mode de production communiste dans sa première phase, approche qui était dominante dans les années 50 en URSS et dans la majorité des PC. Cette position a été renforcée en raison de l’extension de la production marchande non capitaliste qui objectivement a entraîné le passage planifié des relations précapitalistes dans la production agricole à des relations coopératives marchandise-monnaie. Sur cette base matérielle, ont pesé les lacunes et les faiblesses théoriques, représentées par le facteur subjectif de l’élaboration et la mise en place de la planification centralisée. Une base théorique avait été créée pour une politique opportuniste, qui a affaibli la planification centralisée, a érodé la propriété sociale et renforcé les forces contre-révolutionnaires.
13. Durant la première période de la construction socialiste, jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, le problème de base, primordial, était d’abolir la propriété capitaliste, d’affronter méthodiquement les problèmes économiques et sociaux hérités du capitalisme, aggravés par l'encerclement et l'intervention impérialistes.
Durant la période 1917-1940, le pouvoir soviétique a généralement enregistré des succès. Il a réalisé l'électrification et l'industrialisation de la production, l'extension des transports, la mécanisation d’une grande partie de la production rurale. Il a entamé la planification de la production et a atteint des rythmes spectaculaires de croissance dans la production industrielle socialiste. Il a développé avec succès les capacités de production domestiques dans tous les secteurs industriels. Des coopératives agricoles (kolkhozes) et des fermes d'Etat (sovkhozes) ont été créées et ainsi les bases de l’expansion et de la prédominance des relations communistes dans la production agricole. La « révolution culturelle » était réalisée. La formation d'une nouvelle génération de spécialistes et de scientifiques communistes a débuté. La plus grande réalisation a été l'abolition totale des relations capitalistes de production grâce à la suppression de l'embauche de main d’œuvre extérieure. Ainsi ont été posées les fondations pour le développement du communisme.
14. Dans un pays comme la Russie de 1917-1921, la mise en oeuvre de certaines « mesures transitoires » était indispensable dans la perspective d’abolir complètement les relations capitalistes.
Les facteurs qui ont contraint le PC bolchevik à appliquer une politique provisoire de maintien, dans une certaine mesure, des relations de production capitalistes étaient les suivants : la composition des classes, où les éléments ruraux petit-bourgeois était majoritaires, le manque de mécanismes de distribution, d’approvisionnement et de contrôle, les petites structures de production arriérées et, principalement, la dégradation dramatique des conditions alimentaires et d’existence, en raison des destructions de la guerre civile et de l'intervention impérialiste. Tous ces facteurs ont pesé sur le développement de la planification centralisée à long et à moyen terme.
La Nouvelle politique économique (NEP) appliquée après la guerre civile, avait pour objectif fondamental de redresser l'industrie ravagée par la guerre et, sur cette base, de construire des rapports de production dans l'agriculture qui allaient « attirer » les paysans vers les coopératives. Elle recommandait une politique de concessions temporaires au capitalisme. Un certain nombre d'entreprises ont été confiées à des capitalistes (sans qu’ils aient le droit de propriété sur ces entreprises), le commerce s’est développé et les échanges entre la production agricole et l'industrie socialisée étaient régulés sur base de « l’impôt en nature ». Les paysans avaient la possibilité de mettre sur le marché leur surplus de production agricole.
Ces manœuvres et concessions temporaires aux relations capitalistes, nécessaires sous certaines circonstances et conditions spéciales, ne constituent pas une caractéristique inévitable du processus de construction socialiste. C’est une falsification d’utiliser la NEP pour justifier le retour en arrière historique du socialisme au capitalisme dans les années 80, réalisé par la politique de la perestroïka.
15. La nouvelle phase de développement des forces productives à la fin des années 20 a permis de remplacer la NEP par la politique de « l'attaque socialiste contre le capitalisme », dont l'objectif était la suppression complète des relations capitalistes. Les concessions envers les capitalistes ont été retirées et la politique de collectivisation développée, c'est-à-dire l’organisation coopérative complète de l'économie agricole, principalement sous sa forme développée, le kolkhoze.[13] Simultanément, ont été développés (quoique de façon limitée) les sovkhozes, les unités socialistes de l’Etat pour la production agricole, qui s’appuyaient sur la mécanisation de la production et dont l’ensemble du produit était social.[14]
Le premier plan quinquennal a débuté en 1928, après 7 années de victoire de la révolution (la guerre civile s’est terminée en 1921). Le pouvoir soviétique a eu des difficultés à élaborer un plan central de l'économie socialiste dès le début, principalement en raison de la subsistance de relations capitalistes (NEP) et d’un nombre particulièrement élevé de producteurs individuels, surtout des paysans. Des faiblesses se rencontraient également dans le facteur subjectif, le Parti, qui ne disposait pas de cadres spécialisés pour guider l’organisation de la production et était ainsi contraint, durant un certain temps, de dépendre quasi exclusivement des spécialistes bourgeois.
Les conditions spécifiques (encerclement impérialiste, menace de guerre combinée avec le grand retard) ont imposé un rythme accéléré dans la promotion de la collectivisation, qui a aiguisé la lutte de classe, surtout dans les zones rurales.
En dépit des erreurs et de certaines exagérations bureaucratiques dans le développement du mouvement de collectivisation de la production agricole, également signalées par les décisions du Parti[15], l’orientation du pouvoir soviétique dans le renforcement et la généralisation de ce mouvement suivait une direction correcte. Elle visait à développer une forme transitoire de propriété (coopérative) qui contribuerait à la transformation de la petite production marchande individuelle en production socialisée.
16. La politique d’« attaque du socialisme contre le capitalisme » s’est menée dans des conditions de lutte de classe intense. Les koulaks (la classe bourgeoise rurale), qui tiraient profit de la NEP (les NEPmen) et une partie de l'intelligentsia originaire des anciens exploiteurs ont réagi sous diverses formes, notamment par des actions de sabotage de l'industrie (par ex. le procès de Chakhty[16]) et des actions contre-révolutionnaires dans les villages. Ces intérêts anti-socialistes de classe, déterminées par les classes se reflétaient au sein du PC où des courants opportunistes se développaient.
Les deux tendances principales « d’opposition » (Trotski et Boukharine) actives à cette époque avaient pour base commune qu’elles se focalisaient sur les éléments arriérés de la société soviétique et, dans les années 30, leurs vues ont convergé sur la façon d’aborder les problèmes de l'économie soviétique. Leurs positions ont été rejetées par le PC (bolchevik) et n’ont pas été confirmée par la réalité.[17]
En chemin, plusieurs forces opportunistes se sont alliées avec des forces ouvertement contre-révolutionnaires qui ont organisé des projets de renversement du pouvoir soviétique, en coopération avec des services secrets de l’impérialisme.[18]
Le fait que certains cadres dirigeants du Parti et du pouvoir soviétique aient dirigé des courants opportunistes prouve que même des cadres d’avant-garde peuvent fléchir devant l'intensité de la lutte de classe et finalement se couper du mouvement communiste pour passer du côté de la contre-révolution.
17. Deux courants de base se sont développés dans la théorie et politique des cadres et des économistes du Parti. Le courant constant de pensée et de politique marxistes, sous la direction de Staline, reconnaissait que la loi de la valeur ne concordait pas avec les lois fondamentales de fonctionnement de la production socialiste, qui n'est pas une production de marchandises. Il soutenait que le fonctionnement de la loi de la valeur (des rapports marchandise-monnaie) en URSS avait ses racines dans la production agricole coopérative et individuelle. La loi de la valeur ne régule pas la production et la distribution socialistes. Les produits de consommation sont produits et consommés comme des marchandises.[19] Les moyens de production ne sont pas des marchandises, malgré le fait qu'ils semblent être des marchandises « dans la forme mais pas dans le contenu ». Ils deviennent des marchandises seulement dans le commerce extérieur.[20]
La polémique a été engagée contre les économistes « de marché » et les dirigeants politiques qui considéraient que les produits de la production socialiste étaient des marchandises, soit destinées à la consommation individuelle, soit au processus de production, et qui soutenaient que la loi de la valeur est en général également une loi de l'économie socialiste. Le rejet des positions de Voznesensky (à la tête du GOSPLAN[21]) est caractéristique. Ce dernier disait que « la loi de la valeur opère non seulement dans la distribution des produits, mais également dans la distribution du travail lui-même entre les divers secteurs de l'économie nationale de l'URSS. Dans cette sphère, le plan de l'Etat utilise la loi de la valeur afin de garantir la bonne distribution du travail social entre les différentes branches de l'économie dans l'intérêt du socialisme. »[22] D’autre part, une critique pertinente a été adressée aux économistes qui soutenaient l'abolition complète de la répartition sous forme monétaire sans tenir compte des limitations objectives rencontrées alors par la base productive de la société.
Dans son œuvre Les problèmes économiques du socialisme en URSS[23], J.V. Staline souligne, à juste titre, que sous le socialisme, la contradiction entre les forces productives développées et les rapports de production retardataires devient évidente. Il considérait qu’en URSS, la propriété coopérative (kolkhozes) et la circulation des produits de consommation individuelle sous la forme de marchandises commençaient à freiner le développement dynamique des forces productives, parce qu'elles entravaient le développement complet de la planification centrale dans l’ensemble de la production-répartition. Il a relevé les différences entre les deux classes coopératives, la classe ouvrière et les kolkhoziens ruraux, mais aussi la nécessité de les supprimer grâce à l'abolition planifiée de la marchandisation de la production agricole.[24]
Le courant constant a soutenu l'accélération de la socialisation de la production agricole par la fusion des petits kolkhozes avec les plus grands[25] et la transformation progressive des kolkhozes en sovkhozes, avec comme premier pas, l’attribution de toute la production agricole à l’Etat.
Concernant la question conflictuelle des proportions entre la Subdivision 1 de la production sociale (production des moyens de production) et la Subdivision 2 (production de marchandises), ce courant soutenait, à juste titre, que le critère principal de la distribution proportionnelle planifiée du travail et de la production entre les différentes secteurs de l'industrie socialiste était la priorité à la Subdivision 1. De celle-ci dépend l'élargissement de la croissance et de l'accumulation socialiste (la richesse sociale), indispensables à l’expansion future de la prospérité sociale.
Un point faible du courant révolutionnaire était l'interprétation incomplète des relations de distribution de la part du produit social réparti en fonction du travail.
18. Après la Seconde Guerre mondiale, la discussion sur l'économie s’est poursuivie et s’est intensifiée. Une polémique s’est développée sur l'interprétation de certains problèmes.[26] Nous estimons correcte la position de la direction soviétique, prise au début des années 50, selon laquelle les problèmes économiques étaient l'expression de l’exacerbation de la contradiction entre les forces productives développées et les relations de production en retard. Le développement des forces productives avait atteint un nouveau niveau après le redressement économique de l'après-guerre. Une nouvelle impulsion dynamique au développement ultérieur des forces productives exigeait un approfondissement et un élargissement des relations communistes. Le retard de ces dernières concernait : la planification centrale, l’approfondissement du caractère communiste des rapports de distribution, une participation ouvrière plus énergétique et consciente dans l'organisation du travail et le contrôle de l'administration, de la base vers le sommet, et la transformation des relations coopératives de propriété (aux côtés desquelles la propriété privée a survécu) en propriété sociale.
La nécessité a mûri, consciente, bien planifiée, théoriquement et politiquement préparée, que les relations communistes s'élargissent et dominent entièrement dans les secteurs de la production sociale où, précédemment, leur prédominance était encore impossible (du point de vue de leur maturité matérielle, de la productivité du travail).
La résistance sociale (paysans kolkhoziens, cadres dirigeants de l'industrie) à cette perspective s’est exprimée au niveau idéologique par la lutte interne dans le Parti. Le débat intense, qui a conduit à l'acceptation théorique de la loi de la valeur en tant que loi du socialisme, signifiait des choix politiques avec des répercussions plus directes et plus puissantes sur le développement du communisme, comparé à la période d'avant guerre quand le retard matériel rendait l’effet de ces positions théoriques plus indolore.
Après le 20e Congrès du PCUS, des choix politiques ont été adoptés, qui ont étendu les relations marchandises-monnaie (potentiellement capitalistes), au nom de la correction des faiblesses de la planification centrale et de la gestion des institutions socialistes (entreprises).
Des méthodes et moyens dépassés ont été utilisés comme solutions aux problèmes qui surgissaient dans l’économie. La promotion de la politique du « marché », au lieu de renforcer la propriété sociale et la planification centrale, a renforcé la tendance inverse – dans l’homogénéisation de la classe ouvrière (grâce à l'élargissement de la faculté et de la possibilité de spécialisations multiples, d’alternance dans la division technique du travail), le contrôle ouvrier et la participation dans l’organisation du travail en vue de développer l’autogestion communiste – avec naturellement un effet correspondant sur la conscience sociale. L’expérience du passé et l’efficacité de l’usine soviétique n’ont plus été mises en valeur, ni le mouvement stakhanoviste du contrôle de la qualité, ni l'amélioration de l'organisation et de l'administration, ni les inventions pour économiser les matières, le temps de travail, etc.
Les économistes « de marché » (Lieberman, Nemtsinov, Trapeznikov, etc.) ont interprété de façon erronée les problèmes économiques existants, non comme des faiblesses subjectives dans la planification[27], mais comme des conséquences de la faiblesse objective de la planification centralisée à répondre au développement du volume de production et aux nouvelles capacités, ainsi qu'au développement des besoins diversifiés.
Ils ont prétendu que la cause théorique était le déni volontariste du caractère marchand de la production sous le socialisme, la dépréciation du développement de l'agriculture et la surestimation de la possibilité d'intervention subjective dans l'administration économique.
Ils ont soutenu qu'il était impossible pour les organes centraux de déterminer la qualité, la technologie et les prix de toutes les marchandises et des salaires mais, que l’utilisation des mécanismes de marché était également nécessaire en fonction des objectifs d'une économie planifiée. Ils ont prétendu que les problèmes d'adaptation du volume et de la structure de la production aux besoins de consommation et que les problèmes de proportion intersectorielles pouvaient être résolus grâce à l’effet de la demande et des prix qui sont déterminés sur la base de la loi de la valeur.
Peu à peu, à un niveau théorique, ont dominé les théories de « la production socialiste de marchandises » ou du « socialisme de marché », l'acceptation de la loi de la valeur comme une loi du mode communiste de production, qui s'opère même pendant la phase de la construction socialiste développée. Ces théories constituaient la base de la configuration de la politique économique.[28]
19. La politique d'affaiblissement de la planification centrale et de la propriété sociale s’est aggravée après le 20e Congrès. Au lieu de préparer la transformation des kolkhozes en sovkhozes, en 1958, les tracteurs et autres machines[29] sont devenus propriétés des kolkhozes[30], alors que leur production était désormais suffisante et correspondait environ à 10 tracteurs par kolkhoze. En pratique, la directive promulguée au début des années 50, à l'initiative des communistes, pour l’instauration d’un large mouvement kolkhozien d’unification des petits kolkhozes en de plus grands, a été révisée.
En 1957, les ministères sectoriels qui dirigeaient la production industrielle en URSS et dans chaque république ont été dissous et des organes d'administration régionale, les sovnarkhozes ont été créés. Ainsi s’est affaiblie la direction centrale de la planification.[31]
Non seulement, ces changements n’ont pas résolu les problèmes, mais, au contraire, ils ont porté à la surface ou ont créé de nouveaux problèmes, comme la pénurie de fourrages, la stagnation technologique dans les kolkhozes.
Au milieu des années 60, les erreurs de nature subjective dans la direction du secteur agricole de l'économie ont été identifiées comme la cause des problèmes.[32]
Figuraient parmi les réformes : la réduction de la quantité de produits livrés à l'Etat par les kolkhozes[33], la possibilité de revendre les surplus à des prix plus élevés, la suppression des restrictions sur les échanges des ménages kolkhoziens et de l’impôt sur la propriété individuelle d'animaux. Les dettes des emprunts des kolkhozes envers la banque d’Etat ont été effacées, les délais de remboursement des dettes de crédits financiers ont été allongés et la vente directe de fourrages aux propriétaires d’animaux autorisée. Ainsi s’est maintenue et renforcée la part de la production agricole, provenant des ménages ruraux individuels et des kolkhozes, vendue librement sur le marché[34], alors que le retard de la production du bétail s’est approfondi et que l'inégalité dans la satisfaction des besoins en produits ruraux entre les différentes régions et républiques de l'URSS a augmenté.
Une politique analogue de renforcement du caractère marchand, au détriment du caractère directement social, connue comme la « réforme Kossyguine »[35], a été aussi mise en oeuvre dans l'industrie (le « système d'autogestion des entreprises », de nature substantielle et non formelle). Ils ont ainsi prétendu qu’ainsi serait appréhendée la réduction des rythmes de croissance de la productivité annuelle du travail et de la production industrielle annuelle, observée au début des années 60, résultat des mesures de sape de la planification centrale dans la direction du secteur de l’industrie (sovnarkhozes, 1957).
La première vague de réformes a été lancée entre le 23e (1966) et le 24e (1971) Congrès.
Conformément au nouveau système, les rémunérations supplémentaires (primes) des directeurs n’étaient pas calculées sur la base de la réalisation du plan en terme de volume de production[36], mais plutôt en fonction de la réalisation du plan de ventes et proportionnel au taux de profit de l'entreprise. Une partie de la prime des ouvriers provenait également du profit, de même que l’élargissement de la satisfaction des besoins de logement, etc. Ainsi, le profit est devenu un incitant à la production. Les différences de salaires ont augmenté.
La possibilité a été accordée d'effectuer des échanges horizontaux marchandises-monnaie entre les entreprises, de conclure des accords directs avec des « unités de consommation et des organisations commerciales », de fixer les prix, de déterminer le profit sur base de ces échanges, etc.
Le Plan central déterminerait le montant total de la production et des investissements seulement pour les nouvelles entreprises. La modernisation des anciennes entreprises devait être financée par les profits des entreprises.
Ce recul théorique et la politique analogue de régression en URSS sont venus lors d’une nouvelle phase de développement ultérieur des forces productives qui exigeait des stimulations et des indices plus efficaces de la planification centrale, sectorielle et intersectorielle et à sa concrétisation au niveau des entreprises. Il fallait donc un développement correspondant de la planification centrale pour diriger le renforcement du mode communiste de production.
Avec ces réformes de marché et le détachement de l’unité de production socialiste de la planification centrale, s’est affaibli le caractère socialiste de la propriété des moyens de production. Il est devenu possible de violer le principe de la répartition « selon le travail ».
Parallèlement, ont été rejetées des propositions et des projets de valorisation des ordinateurs et de l’informatique[37] qui auraient pu contribuer à améliorer le traitement des données techniques, afin d’améliorer l’analyse et le contrôle de la production grâce à des indicateurs physiques.
Le 24e Congrès du PCUS, avec les directives pour l’élaboration du 9e Plan quinquennal (1971–1975), a renversé la priorité proportionnelle de la Subdivision 1 en faveur de la Subdivision 2. Ce renversement de proportion avait été proposé lors du 20e Congrès mais n’avait pas été accepté. La modification a été justifiée comme un choix pour renforcer le niveau de consommation populaire. En réalité, c'était un choix qui violait la loi économique et il a eu des conséquences négatives sur la croissance de la productivité du travail. Le développement de la productivité du travail – élément fondamental pour permettre l'augmentation de la richesse sociale, la satisfaction des besoins et le développement de l'homme en général – présuppose le développement des moyens de production. La planification aurait dû affronter avec une plus grande efficacité le besoin suivant : l'introduction de la technologie moderne dans l'industrie, les services de transport, le stockage et la distribution des produits.
Ce choix de renverser les proportions non seulement n’a pas contribué en pratique à confronter les contradictions exprimées (par exemple, le surplus de revenus et la pénurie de biens de consommation comme les appareils électroménagers, les télévisions couleur), mais a écarté la planification centrale de la satisfaction de son objectif principal (l'augmentation de la prospérité sociale). Il a aiguisé davantage la contradiction entre le niveau de développement des forces productives et le niveau des relations communistes dans la production et la distribution.
La période au cours de laquelle Iouri Andropov était le Secrétaire général du CC du PCUS (novembre 1982–février 1984), qui a précédé la politique de la perestroïka, a été trop brève pour être jugée de manière complète. Cependant, selon les textes et documents du PCUS de cette époque, on retrouve des références au besoin d'intensifier la lutte contre les visions bourgeoises et réformistes de la construction du socialisme, ainsi que la nécessité de la vigilance face au sabotage de l'impérialisme.
Les années 80, au niveau politique, ont connu une nouvelle orientation opportuniste avec les décisions du 27e Congrès (1986). Ensuite, s’est développée la contre-révolution avec l’adoption de la loi (1987) qui légitimait institutionnellement les relations capitalistes, par l'acceptation des diverses formes de propriété.
Au début des années 90, l'approche sociale-démocrate de « l'économie de marché planifiée » (plateforme du CC au 28e Congrès du PCUS) a rapidement cédé la place à « l’économie de marché régulée », ensuite remplacée par « l'économie de marché libre ».
20. L’orientation qui dominait n’est pas seulement jugée aujourd'hui d'un point de vue théorique, mais également par ses résultats. Après environ deux décennies d'application des réformes, les problèmes s'étaient clairement aggravés. La stagnation est apparue pour la première fois dans l'histoire de la construction socialiste. La grande majorité des entreprises gardaient un retard technologique. Il y avait des pénuries de nombreux biens de consommation, d’autres problèmes du « marché », car les entreprises provoquaient une augmentation artificielle des prix, en laissant des marchandises dans les entrepôts ou en les distribuant en quantités contrôlées.
L'interaction toujours croissante d'éléments du marché affaiblissait directement la production sociale du socialisme. Elle a engendré la chute de la dynamique du développement socialiste et a renforcé l’intérêt individuel et de groupe à court terme (avec des différences importantes de salaires entre les travailleurs dans chaque entreprise, entre les travailleurs et l'organe de direction, entre les différentes entreprises) au détriment des intérêts généraux de la société. Avec le temps, les conditions sociales ont été créées pour que la contre-révolution se développe et triomphe, avec l’aide de la perestroïka.
Ces réformes ont permis que des sommes d'argent accumulées principalement de manière illégale (contrebande, etc.) soient investies dans le marché « noir » (illégal). Cela concernait en particulier les cadres des organes de l'administration et des entreprises, les cadres du commerce extérieur. La Justice de l'URSS a également fourni des données sur cette économie dite « parallèle ». Selon ces informations, une partie importante de la production agricole coopérative ou d’Etat a été détournée vers les consommateurs de manière illégale.
La différenciation des revenus individuels entre les producteurs agricoles individuels et les kolkhoziens s’est élargie, tout comme leur opposition à la tendance d’élargir le caractère social de la production agricole. Les paysans qui s'enrichissaient étaient renforcés jusqu’à devenir une couche de la société empêchant la construction socialiste.
Les différences sociales dans l'industrie étaient encore plus marquées à cause de la concentration des « profits d’entreprise ». Le « capital fantôme » résultait non seulement des profits des entreprises, mais aussi du marché noir, des opérations criminelles comme le détournement du produit social ; il recherchait un fonctionnement légal comme capital de production, c'est-à-dire la privatisation des moyens de production, la restauration du capitalisme. Les détenteurs de ce capital ont constitué la force sociale motrice de la contre-révolution. Ils ont utilisé leur position au sein de l’appareil d'Etat et du Parti et le soutien de secteurs de la population vulnérables à l’influence de l'idéologie bourgeoise et hésitants, notamment une partie importante de l'intelligentsia, de la jeunesse, surtout les étudiants, qui, pour diverses raisons, étaient insatisfaits.[38] Ces forces ont directement ou indirectement influencé le Parti, en renforçant l’érosion opportuniste et la dégénérescence contre-révolutionnaire, qui se sont exprimées par la politique de la perestroïka, et elles ont revendiqué la consolidation institutionnelle des relations capitalistes. L'objectif a été atteint après la perestroïka, avec le renversement.
Conclusions sur le rôle du Parti communiste dans le processus de construction socialiste
21. Le rôle indispensable du Parti dans le processus de construction socialiste s'exprime dans sa direction du pouvoir ouvrier et dans la mobilisation des masses pour participer à cette direction.
La classe ouvrière constitue la force dirigeante de ce nouveau pouvoir avant tout grâce à son Parti.
La lutte pour l’édification et le développement d'une nouvelle société est menée par le pouvoir ouvrier révolutionnaire avec comme noyau dirigeant le parti communiste, qui utilise les lois motrices de la société socialiste-communiste. L'être humain, qui devient maître des processus sociaux, passe graduellement du royaume de la nécessité au royaume de la liberté. De là découle le rôle supérieur du facteur subjectif par rapport à toutes les formations socio-économiques précédentes, où l'activité humaine est dominée par la mise en oeuvre spontanée des lois sociales fondées sur le développement spontané des relations de production.
Par conséquent, la nature scientifique et de classe de la politique du PC est une condition déterminante de la construction socialiste. Dans la mesure où ces caractéristiques sont perdues, l'opportunisme s'installe et, avec le temps, s’il n’est pas pris en compte, il se développe comme une force contre-révolutionnaire.
Le devoir de développer les relations communistes de production et de distribution requiert le développement de la théorie du communisme scientifique, grâce à la valorisation du travail scientifique du PC, selon des objectifs de classe, et grâce à l'étude des lois du développement de la formation socio-économique communiste. L'expérience a montré que les partis au pouvoir, en URSS et dans d'autres Etats socialistes, n'ont pas effectué avec succès cette tâche.
La conscience de classe dans l’ensemble de la classe ouvrière ne se développe pas de manière spontanée et uniforme. La croissance de la conscience communiste des masses de la classe ouvrière est d’abord déterminée par l’ensemble du renforcement des relations communistes de production et par le niveau de la participation ouvrière dans la direction du PC, qui est la structure principale de diffusion de la conscience révolutionnaire parmi les masses. Avec cette base matérielle, il faut aussi que s’implante le travail idéologique, l’impact du parti révolutionnaire qui confirme son rôle dirigeant, dans la mesure où il mobilise la classe ouvrière pour la construction socialiste.
La conscience de l'avant-garde doit toujours devancer la conscience de la masse de la classe ouvrière, formée par les relations économiques. De là résulte la nécessité pour le Parti lui-même d'avoir un niveau théorique et idéologique élevés et une résistance afin de rester solide dans la lutte contre l'opportunisme, non seulement dans les conditions du capitalisme, mais davantage dans les conditions de la construction socialiste.
22. Le tournant opportuniste dominant depuis les années 50 après la Seconde Guerre mondiale et la perte progressive du rôle révolutionnaire du Parti démontrent que les risque de développement de déviations au sein de la société socialiste ne disparaissent pas. Au-delà de l'encerclement impérialiste et de son effet négatif incontestable, la base sociale de l'opportunisme demeure tant que se maintiennent des formes de propriété individuelle et de groupe, tant que perdurent des relations marchandise-monnaie et des différences sociales. Finalement, la base matérielle de l'opportunisme demeure durant toute la construction socialiste et tant que le capitalisme existe sur terre, et particulièrement des Etats capitalistes puissants.
La nouvelle phase après la Seconde Guerre mondiale débute avec un Parti affaibli au niveau idéologique et en terme de classe, par de grandes pertes de cadres expérimentés et des faiblesses théoriques pour répondre aux nouveaux problèmes qui entraient dans une phase d’intensification. Il était vulnérable aux contradictions qui reflétaient les différenciations sociales existantes. C'est dans ces conditions que la balance a penché en faveur de l’adoption des positions opportunistes et réformistes, qui avaient été combattues lors des phases précédentes de la lutte.
L'adoption des points de vue opportunistes et révisionnistes par la direction du PCUS et par d'autres PC a finalement transformé ces partis en structures qui ont dirigé la contre-révolution dans les années 80.
Le tournant opportuniste qui a eu lieu au 20e Congrès du PCUS (1956) et la perte graduelle des caractéristiques révolutionnaires antérieures du Parti – un parti au pouvoir qui se trouvait toujours dans le collimateur de l’agressivité impérialiste – rendait plus difficile l’éveil et le travail de sensibilisation des véritables communistes. C'est pourquoi les forces communistes ne sont pas parvenues à temps à dévoiler le caractère traître et contre-révolutionnaire de la ligne qui dominait la session plénière du CC en avril 1985 et le 27e Congrès du PCUS (1986). Ils ne sont pas parvenus à constituer à temps un pôle manifeste de défense du socialisme pour marquer la différence[39] et affronter efficacement les forces de la contre-révolution. N’a pas été formée à temps une avant-garde communiste révolutionnaire, capable de guider la classe ouvrière de manière idéologique, politique et organisationnelle contre le développement de la contre-révolution.
Même si cette tendance ne pouvait être inversée, particulièrement dans les années 80, il est certain que la résistance, tant à l’intérieur des partis au pouvoir que dans le cadre du mouvement communiste international, va contribuer, même dans un contexte différent, à mener la lutte actuelle pour la reconstruction du mouvement international et va créer les conditions requises au dépassement de la crise profonde.
Nous ne considérons pas comme inévitable le développement rapide et le triomphe des idées révisionnistes et des politiques opportunistes, ni l'érosion opportuniste progressive du PCUS et autres PC au pouvoir, ni la dégénérescence du caractère révolutionnaire du pouvoir. Nous étudions l’ensemble des facteurs qui ont contribué à cette évolution. Nous remarquons notamment :
a) La baisse du niveau d'éducation politique marxiste à la direction du PC et dans le Parti en général, en raison des conditions particulières de la guerre, les lourdes pertes et la brusque augmentation du nombre de membres du PC ont généré un ralentissement du développement de l'économie politique du socialisme.
Une recherche est aussi nécessaire sur les changements dans la composition de classe du Parti, dans sa structure et son fonctionnement et leurs répercussions au niveau idéologique et dans les caractéristiques révolutionnaires du Parti dans son ensemble, de ses membres et ses cadres.
- La relative dépendance du pouvoir communiste en URSS depuis sa naissance envers les cadres de l’administration et scientifique d’origine bourgeoise.
- L'héritage historique de l'URSS, du point de vue de l'importance du retard pré-capitaliste et son développement capitaliste inégal.
- Les grandes pertes durant la Seconde Guerre mondiale et les sacrifices dans le domaine de la prospérité sociale engendrés par la reconstruction d'après-guerre, en concurrence avec la reconstruction capitaliste de l'Europe occidentale, substantiellement financée par les capacités et le besoin pour les Etats-Unis d’exporter des capitaux.
- Les problèmes et contradictions dans l'intégration des pays d'Europe d’Europe centrale et orientale au système socialiste.
- La crainte d'une nouvelle guerre, due aux interventions impérialistes en Corée, etc., la Guerre froide, le doctrine Hallstein en Allemagne de l’Ouest (la non-reconnaissance de la RDA qualifiée de « zone d'occupation soviétique »).
b) L'intervention politique différenciée de l'impérialisme international, avec le soutien de la social-démocratie, dans les pays de construction socialiste, avec des échanges commerciaux plus flexibles vers des Etats d'Europe centrale et orientale, mais aussi avec une pression idéologique et politique directe contre l'URSS.
c) Les problèmes de stratégie et la dissolution du mouvement communiste international.
Le développement du pouvoir soviétique
23. La base théorique de l'analyse du développement du pouvoir soviétique est que le pouvoir, sous le socialisme, c’est la dictature du prolétariat. C'est le pouvoir de la classe ouvrière, qui ne le partage avec aucune autre (ce qui n'est pas le cas dans les autres types de pouvoir). La dictature du prolétariat est l'organe de la classe ouvrière dans la lutte de classe qui continue sous d'autres moyens et formes.
La classe ouvrière, comme charpente des relations communistes instaurées, comme propriétaire collectif des moyens de production socialisés est la seule classe qui peut diriger la lutte pour le triomphe des relations communistes, la « disparition » des classes et le « dépérissement » de l'Etat.
A travers son pouvoir révolutionnaire, la classe ouvrière en tant que classe souveraine, forme des alliances avec les autres couches populaires qui ne sont pas encore des travailleurs de la production sociale (par exemple, les petits producteurs des coopératives à la ville ou à la campagne, les indépendants du secteur des services, les scientifiques, les intellectuels et techniciens de la gestion de la production, d’origine bourgeoise ou des classes moyennes). A travers cette alliance, la classe ouvrière cherche à diriger ces couches dans la construction socialiste, vers le triomphe absolu des relations communistes.
La nécessité de la dictature du prolétariat résulte de la poursuite de la lutte des classes au niveau international. Elle se maintiendra jusqu’à ce que l’ensemble des relations sociales soit communiste, c'est-à-dire aussi longtemps que l'Etat sera nécessaire comme mécanisme de domination politique.
24. Les choix politiques qui concernent la superstructure, les institutions de la dictature du prolétariat, du contrôle ouvrier, etc., sont étroitement liés aux choix politiques au niveau de l'économie.
Une question importante à étudier est celle de l’évolution des soviets en tant que forme de dictature du prolétariat. Dans la première Constitution de la RSFSR[40] et la première Constitution de l'URSS en 1924 (et des Républiques en 1925), les relations communistes entre l’appareil d’Etat et les masses étaient assurées par la représentation électorale indirecte des travailleurs, réalisée selon le principe d’élections dans les unités de production. Le droit de vote était garantit uniquement aux travailleurs (pas aux citoyens en général). La classe bourgeoise, les propriétaires fonciers, tous ceux qui exploitaient de la main d’œuvre, les moines et les prêtres, les éléments contre-révolutionnaires étaient privés de ce droit. Les concessions faites aux capitalistes lors de la NEP ne comprenaient pas de droits politiques.
Dans la Constitution de 1936, la représentation directe a été établie sur base du critère géographique (l’unité électorale est devenue la région et la représentation était proportionnelle au nombre d'habitants). La tenue d’élections au sein des assemblées électorales a été abolie et remplacée par des zones électorales. Le droit de vote a été accordé à tous par bulletins de vote secrets.
Les changements inscrits dans la Constitution de 1936 visaient à résoudre certains problèmes[41] comme le manque de communication directe entre les cadres du parti et des soviets avec la base ouvrière, le fonctionnement des soviets, l’attitude bureaucratique, etc., ainsi que garantir la stabilité du pouvoir soviétique à la veille de la guerre.
Il est nécessaire d’étudier plus profondément le déclassement de l'unité de production en tant que noyau d'organisation du pouvoir de la classe ouvrière, suite à la suppression de l’élection indirecte via des congrès et des assemblées. Il faut étudier les effets négatifs sur la composition de classe des organes supérieurs de l'Etat et sur l'application du droit de révoquer les délégués (qui, selon Lénine, constitue un élément fondamental de la démocratie sous la dictature du prolétariat).
25. Après le 20e Congrès (1956), les compétences des soviets locaux ont été renforcées dans les questions qui concernaient l’autosuffisance et l’autogestion des entreprises socialistes. Ainsi, le centralisme démocratique a reculé au niveau politique, en parallèle avec le déclin de la planification centrale au niveau économique. Des mesures, visant à renforcer l’installation des cadres des soviets, ont été prises, comme l’augmentation graduelle des années de service dans les institutions et l’augmentation de la possibilité d'exemption des délégués de leurs tâches dans la production.
Au 22e Congrès du PCUS (1961), ont été adoptées les analyses non objectives au sujet du « socialisme irréversible » et de « la fin de la lutte de classe ». Au nom des « contradictions non antagoniques » entre les classes et catégories sociales, l'Etat de l'URSS a été qualifié d’« Etat de tout le peuple » (entériné par la révision de la Constitution de 1977) et le PCUS de « parti du peuple tout entier ».
Cette évolution a contribué au déclin des caractéristiques de l'Etat ouvrier révolutionnaire, à la détérioration du caractère de classe du Parti et de ses cadres, à la perte de la vigilance révolutionnaire et idéologique, justifiée par la thèse de « l’irréversibilité du socialisme ».
Avec la perestroïka et la réforme du système politique de 1988, le système des soviets a été réduit en un organe bourgeois.
26. L'expérience montre, en pratique, que les masses ont été progressivement écartées de la participation au système soviétique qui, particulièrement dans les années 1980, a pris caractère purement formel. Cette mise à l’écart ne peut être uniquement ou principalement attribuée aux modifications du fonctionnement des soviets, mais dans les différenciations sociales renforcées par la politique économique, dans l'exacerbation de l'opposition entre les intérêts privés des individus et des groupes, d’une part, et l’intérêt collectif social d’autre part.
La direction du PCUS a adopté des orientations qui affaiblissaient le caractère social de la propriété et favorisait l'intérêt individuel et de groupes limités, ce qui a créé un sentiment d’aliénation de la propriété sociale et l’érosion de la conscience. C’était la porte ouverte à la passivité, l'indifférence, l'individualisme, aux actions de plus en plus éloignées des déclarations, mais aussi de la baisse de la croissance industrielle et agricole et, par conséquent, du taux de satisfaction des besoins sociaux croissants. Ainsi, les critères du contrôle ouvrier ont dégénéré ou ont pris un caractère formel.
La classe ouvrière, les masses populaires en général, n’ont pas tourné le dos au socialisme. Il est caractéristique que les slogans utilisés durant la perestroïka étaient « révolution dans la révolution », « davantage de démocratie », « davantage de socialisme », car une grande partie du peuple, qui constatait les problèmes, voulait des changements au sein du socialisme. C’est pourquoi les mesures comme l’affaiblissement des relations communistes et le renforcement des relations marchandises-monnaie, ensuite la restauration de la propriété privée des moyens de production, ont été présentées comme des mesures en vue renforcer le socialisme.
Le thème spécifique d’une future étude comparative et concluante sera les formes d'organisation de la participation ouvrière, leurs droits et leurs obligations, à diverses périodes du pouvoir soviétique – les Comités ouvriers[42] sous Lénine, le mouvement stakhanoviste, en opposition aux « conseils d’autogestion » sous Gorbatchev – par rapport à la planification centrale et à la réalisation du caractère social de la propriété des moyens de production.
Dans le cadre de l'étude de la construction socialiste dans d’autres pays d'Europe et d'Asie, nous devons examiner : sous quelle forme s'est exprimé, dans les démocraties populaires, le pouvoir de la classe ouvrière et l'alliance de la classe ouvrière avec les couches petites-bourgeoises et leurs conflits ; les influences nationalistes bourgeoises dans certaines orientations de partis au pouvoir, par exemple le PC de Chine, l’Union des Communistes yougoslaves ; comment l’unification, après 1945, avec des sections de la social-démocratie, a-t-elle affecté le caractère des PC au pouvoir, par exemple le Parti ouvrier unifié polonais, le Parti socialiste unifié d’Allemagne, le PC de Tchécoslovaquie, le Parti socialiste ouvrier hongrois.
La stratégie du mouvement communiste international et ses évolutions
27. Dans la lutte de classe au niveau mondial et dans la disposition des rapports de forces, les évolutions du mouvement communiste international et les questions de sa stratégie ont joué un rôle sérieux[43].
Des problèmes d’unité idéologique et stratégique se sont manifestés durant toute l’histoire de l’Internationale Communiste (IC), concernant le caractère de la révolution, le caractère de la guerre[44] survenue après la montée du fascisme en Allemagne, et l’attitude envers la social-démocratie.
Les groupes opportunistes dans le PC bolchevik (trotskistes, boukhariniens) étaient mêlés à la lutte qui se développait au sein de l’IC à propos de la stratégie du mouvement communiste international.
A la fin des années 20, Boukharine, en tant que Président de l’IC, a soutenu les forces dans les PC et dans l’IC qui surestimaient la « stabilisation du capitalisme » et l’improbabilité d’un nouvel élan révolutionnaire, qui exprimaient un esprit de compromis avec la social-démocratie, surtout avec son « aile gauche », etc.
L’affaiblissement de l’action de l’IC en tant que centre uni est apparu des années avant son autodissolution (mai 1943).[45] Une évolution négative pour le mouvement international a été l’absence d’un centre d’élaboration coordonnée d’une stratégie révolutionnaire pour la transformation de la lutte contre la guerre impérialiste ou l’occupation étrangère en une lutte pour le pouvoir, devoir unique qui concernait chaque PC dans les conditions de son propre pays.[46]
Indépendamment des causes qui ont mené à la dissolution de l’IC, il y avait un besoin objectif pour le mouvement communiste international d’élaborer une stratégie révolutionnaire unie, de planifier et de coordonner son action.
Une étude plus profonde de la dissolution de l’IC doit prendre en considération une série d’évolutions[47], comme : l’arrêt de l’Internationale syndicale rouge, en 1937, parce que la majorité de ses centrales s’est alliée aux syndicats réformistes de masse, ou a adhéré à ces syndicats ; la décision du 6e Congrès de l’IC de la Jeunesse (1935), selon laquelle la lutte contre le fascisme et la guerre exigeait un changement de caractère des unions de la jeunesse communiste, base sur laquelle se sont réalisées des unification d’organisations de jeunesse communistes avec des jeunesses socialistes (par exemple en Espagne, en Lettonie, etc.).
La guerre a créé les conditions d’une grande intensification des contradictions de classe à l’intérieur de nombreux pays, mais la lutte antifasciste a conduit au renversement du pouvoir bourgeois, grâce à l’intervention décisive de l’Armée Rouge, seulement dans les pays d’Europe centrale et orientale.
Dans l’Occident capitaliste, les PC n’ont pas élaboré une stratégie de transformation de la guerre impérialiste ou de la lutte de libération en une lutte de conquête du pouvoir. La stratégie du mouvement communiste n’a pas mis en valeur le fait que la contradiction entre Capital et travail était une caractéristique intégrale de la guerre de libération antifasciste dans une série de pays, afin de poser la question du pouvoir, puisque le socialisme et la perspective du communisme constituent la seule alternative à la barbarie capitaliste. Il y a eu un recul de la thèse selon laquelle, entre le capitalisme et le socialisme, il n’y a pas de système social intermédiaire, et par conséquent pas de pouvoir politique intermédiaire entre le pouvoir bourgeois et le pouvoir révolutionnaire de la classe ouvrière.
Cette thèse reste vraie, indépendamment des rapports de forces, indépendamment des problèmes qui peuvent agir comme catalyseurs pour l’accélération des développements, par exemple l’intensification des contradictions inter-impérialistes, la guerre impérialiste, les changements de forme du pouvoir bourgeois qui peuvent être instaurés.
28. Après la fin de la Seconde Guerre mondiale, les alliances ont été réalignées. Les États capitalistes et les forces bourgeoises opportunistes, qui avaient participé à la lutte de libération nationale dans chaque pays (par exemple les forces de la social-démocratie), se sont jointes au mouvement communiste et aux États qui menaient la construction socialiste.
Dans ces conditions, les conséquences négatives de l’érosion opportuniste croissante de certains partis du mouvement communiste international sont devenues encore plus évidentes. L’absence d’une unité organisationnelle entre les PC, suite à la dissolution de l’IC, et l’unité idéologique sérieusement affaiblie n’ont pas permis d’élaborer une stratégie unifiée indépendante du mouvement communiste international, face à la stratégie de l’impérialisme mondial.
Le Bureau d’information des PC, le Kominform, créé en 1947[48] et dissous en 1956, ainsi que les conférences internationales des PC qui ont eu lieu par la suite, n’ont pas pu traiter efficacement ces problèmes.
Le système impérialiste international restait puissant après la guerre, en dépit du renforcement incontestable des forces du socialisme. Immédiatement après la fin de la guerre, l’impérialisme sous l’hégémonie des Etats-Unis, a commencé la « Guerre froide ». Il s’agissait d’une stratégie soigneusement élaborée pour saper le système socialiste.
La « Guerre Froide » comprenait notamment l’organisation d’une guerre psychologique, l’intensification des dépenses militaires pour épuiser économiquement l’URSS, des réseaux de sape et de subversion du système socialiste de l’intérieur, des provocations ouvertes et l’incitation à des développements contre-révolutionnaires (par exemple en Yougoslavie en 1947-48, en République Démocratique Allemande en 1953, en Hongrie en 1956, en Tchécoslovaquie en 1968, etc.). Une politique économique et diplomatique différenciée a été suivie à l’égard des États socialistes pour qu’ils brisent leur alliance avec l’URSS, pour renforcer les conditions de leur érosion opportuniste. En même temps, le système impérialiste, avec les Etats-Unis comme force principale, a constitué des alliances militaires, politiques, économiques et des organisations internationales de financement (Otan, Communauté européenne, FMI, Banque mondiale, accords de commerce international), qui assuraient la coordination des États capitalistes, réglaient certaines contradictions entre eux, afin qu’ils servent l’objectif stratégique commun d’étouffer le système socialiste. Ils ont organisé des interventions impérialistes, des provocations systématiques et diverses et des campagnes anticommunistes. Ils ont utilisé les armes idéologiques les plus modernes pour manipuler les peuples, pour créer un climat hostile contre les États socialistes et le mouvement communiste en général. Ils ont utilisé les déviations opportunistes et les problèmes d’unité idéologique du mouvement communiste international. Ils ont soutenu économiquement, politiquement et moralement toute forme de mécontentement ou de désaccord avec le PCUS et l’URSS. Ils ont dépensé des milliards de dollars de leurs budgets d’Etat dans ce but.
29. La ligne de la « coexistence pacifique », comme elle a été développée durant les premières années de l’après-guerre, dans une certaine mesure au 19e Congrès (octobre 1952)[49] et principalement au 20e Congrès du PCUS (1956)[50], reconnaissait la barbarie capitaliste et l’agressivité des Etats-Unis et de la Grande Bretagne, et de certaines fractions de la classe bourgeoise et des forces politiques correspondantes dans les Etats capitalistes d’Europe occidentale, mais non pas en tant que partie intégrale du capitalisme monopoliste, de l’impérialisme. De cette manière, elle a permis le développement de conceptions utopiques, comme le fait qu’il serait possible pour l’impérialisme d’accepter à long terme la coexistence avec des forces qui avaient brisé sa domination mondiale. Le 20e Congrès du PCUS a également exprimé la possibilité d’une voie parlementaire vers le socialisme en Europe.
Les deux branches du mouvement communiste (au pouvoir ou non) ont surestimé la puissance du système socialiste et sous-estimé le dynamisme du capitalisme dans la reconstruction d’après-guerre. En parallèle, la crise dans le mouvement communiste international s’est approfondie ; elle s’est manifestée au départ par la rupture des relations entre le PCUS et le PC de Chine et, plus tard, par la constitution du courant de l’« eurocommunisme ».
En Europe occidentale, dans les rangs de nombreux PC, sous le prétexte des spécificités nationales de chaque pays, le courant opportuniste de l’« eurocommunisme » niait les lois scientifiques de la révolution socialiste, la dictature du prolétariat et la lutte révolutionnaire en général. Il adoptait la « voie parlementaire » vers le socialisme, c’est-à-dire la stratégie sociale-démocrate réformiste. En général dans les PC, dominait l’analyse selon laquelle la social-démocratie se divisait en aile « droite » et « gauche » ; ce qui a affaibli particulièrement la lutte idéologique contre la social-démocratie. Au nom de l’unité de la classe ouvrière, les PC ont effectué une série de concessions idéologiques et politiques sérieuses, tandis que les déclarations sur l’unité de la part de la social-démocratie ne visaient pas au renversement du système capitaliste, mais à l’éloignement de la classe ouvrière de l’influence des idées communistes et à son aliénation en tant que classe.
L’attitude de nombreux PC face à la social-démocratie faisait partie de la stratégie du « gouvernement antimonopoliste », une sorte d’étape entre le socialisme et le capitalisme qui s’est exprimée également à travers les gouvernements qui ont géré le capitalisme en alliance avec la social-démocratie. Cette stratégie s’est initialement appuyée sur l’estimation selon laquelle il existait une relation de « soumission et de dépendance » de chaque pays capitaliste envers les Etats-Unis.[51] Elle a même été adoptée par le PC des Etats-Unis, ce pays qui était au sommet de la pyramide impérialiste.
Cette stratégie s’est imposée surtout après le 20e Congrès du PCUS (février 1956) avec sa thèse relative aux « diverses formes de passage vers le socialisme, sous certaines conditions ». Cette thèse constituait une révision fondamentale des conclusions de l’expérience révolutionnaire soviétique. Elle sous-estimait la stratégie unifiée du capitalisme contre les États socialistes et le mouvement ouvrier dans les pays capitalistes. Les contradictions entre les pays capitalistes, qui bien sûr comportaient une part de dépendance, comme c’est le cas dans la pyramide impérialiste, n’ont pas été correctement analysées. Ainsi les PC ont choisi une politique d’alliance également avec des forces bourgeoises caractérisées comme ayant une « conscience nationale », en opposition à celles au service de l’impérialisme étranger. De tels points de vue se sont maintenus dans une partie du mouvement communiste qui, lors de la scission des années 60, s’est orientée vers le PC de Chine.
L’interaction entre ce nouvel opportunisme dans les PC des pays capitalistes et les PC au pouvoir s’est renforcée dans les conditions de la peur d’une attaque nucléaire contre les pays socialistes, de l’exacerbation de la lutte de classe à l’intérieur des États socialistes (Europe centrale et orientale) et des nouvelles guerres impérialistes (par exemple contre la Corée, le Vietnam). La tactique flexible de l’impérialisme a contribué au développement de l’opportunisme dans les PC des États socialistes, à l’affaiblissement de la construction socialiste, et à l’érosion de la lutte révolutionnaire en Europe capitaliste et dans le monde. Ainsi s’est renforcée, directement et indirectement, la pression impérialiste sur les États socialistes.
Évaluation de la position du KKE
30. Le 14e Congrès du KKE (1991) et la conférence nationale de 1995 ont formulé l’autocritique suivante : nous n’avons pas évité, en tant que parti, l’idéalisation et l’embellissement du socialisme, tel qu’il a été construit au 20e siècle. Nous avons sous-estimé les problèmes que nous avons observés, les attribuant principalement à des facteurs objectifs, les justifiant comme des problèmes de croissance du socialisme, ce qui a été prouvé comme non conforme à la réalité.
Notre capacité à tirer des conclusions correctes a été restreinte du fait que notre Parti n’a pas prêté l’attention nécessaire au besoin d’acquérir un haut niveau théorique, de promouvoir l’étude créative et l’assimilation de notre théorie, de mettre en valeur la riche expérience de la lutte de classe révolutionnaire, de contribuer, notamment avec nos propres forces, au développement créatif des positions idéologiques et politiques, sur base de l’évolution des circonstances. Dans une large mesure, en tant que parti, nous avons adopté des points de vue théoriques et des choix politiques erronés du PCUS.
Nous nous sommes adaptés et nous avons toléré le caractère formel des relations apparues entre les partis communistes, l’adoption sans critique des thèses du PCUS en matière de théorie ou d’idéologie. À partir de notre expérience, la conclusion qui se dégage est que le respect de l’expérience des autres partis doit être associée à la critique objective de leur politique et de leur pratique, avec un esprit critique de camarades concernant les erreurs et l’opposition aux déviations.
La conférence de 1995 critiquait le fait que notre parti avait accepté sans critique la politique de la perestroïka, estimant qu’il s’agissait d’une réforme politique au bénéfice du socialisme. Ce fait reflétait également le renforcement de l’opportunisme dans les rangs du parti à cette époque.
La confrontation critique de la position du KKE face à la construction socialiste n’enlève rien au fait que notre parti, avec une conscience internationaliste, a défendu à travers son histoire le processus de construction du socialisme-communisme au 20e siècle, même au prix de la vie de milliers de ses membres et de ses cadres. Il a propagé de façon militante l’idée du socialisme. La défense de la contribution du socialisme au 20e siècle était et reste le choix conscient de notre parti hier et aujourd’hui après les développements négatifs.
Le KKE n’est pas passé du côté de ces forces qui, issues du mouvement communiste, au nom de la critique de l’URSS et d’autres pays, sont allées jusqu’à la négation, au refus de leur caractère socialiste, à l’adoption de la propagande de l’impérialisme ; il n’a pas non plus révisé sa position de défense de ces pays, en dépit de leurs faiblesses.